Monsieur le Secrétaire général,
Madame la Présidente du CICR,
Mesdames et Messieurs,
Je m’adresse à vous dans ma capacité nationale.
Je remercie
- le Secrétaire général António Guterres,
- la Présidente du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) Mirjana Spoljaric
- ainsi que Madame Aichatou Mounkaila pour leurs interventions.
Tous les conflits armés sont différents.
Mais – nous venons de l’entendre – ils ont pour dénominateur commun la souffrance des civils.
C’est le cas, par exemple, actuellement en Ukraine : dans l’année écoulée, la moitié des personnes civiles tuées dans des zones de conflits à travers le monde l’ont été en Ukraine. Ces morts sont naturellement intolérables.
La vie des civils est en danger constant. L’accès à la nourriture, aux soins de santé, à l’assainissement, à l’eau potable et à d’autres services essentiels est entravé.
Le manque de biens et services essentiels pour la population civile dans les conflits armés coûte plus de vies que l’impact direct des hostilités, et ceci à court et moyen terme.
Ce sont les groupes vulnérables, tels que les enfants et les personnes en situation de handicaps, qui en font les frais.
Le respect du droit international humanitaire est une priorité de longue date pour la Suisse et l’une de nos priorités au Conseil de sécurité.
En tant que dépositaire des Conventions de Genève et siège du CICR, nous nous sentons d’autant plus tenus par cet impératif humanitaire.
Le travail du CICR est d’une valeur inestimable pour la protection des civils. Et les récentes attaques par rapport à l’impartialité de l’organisation nous inquiètent.
Le récit de Madame Mounkaila nous rappelle le rôle clé que joue la société civile – et le besoin d’inclure ces acteurs dans nos réflexions et actions.
Derrière les chiffres et les propos que nous venons d’entendre se cachent des destins humains individuels.
Pour préparer ce débat, je suis allé dans plusieurs régions qui sont directement concernées par les instabilités. J’ai eu par exemple l’occasion de me rendre dans le nord du Mozambique, à Mueda et à Pemba, avec le Président Nyusi.
Dans ce cadre, vous me permettrez de souligner que le Mozambique vient d’annoncer le désarmement et la démobilisation de la dernière base militaire rebelle au centre du pays.
Je saisis cette occasion pour féliciter le Président Nyusi, mais aussi le chef de la RENAMO, Ossufo Momade, pour leurs efforts dans la construction de la paix au Mozambique. Ils ont montré au monde que l’arme la plus puissante pour atteindre la paix est toujours le dialogue.
Je me suis également rendu à l’est de la République Démocratique du Congo. Je suis allé à Goma, à Bukavu, et j’y ai notamment rencontré des civils ayant assisté à l’assassinat de membres de leur famille, au pillage de leurs biens, et des femmes qui ont été violées, en situation de très grande vulnérabilité.
Malgré des parcours tellement difficiles, toutes les personnes que j’ai rencontrées se sont montrées combatives et optimistes quant à l’avenir.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter de compter sur la résilience des populations.
Le droit international humanitaire impose des obligations claires et sans équivoque à toutes les parties à un conflit, ainsi qu’à nous tous, États signataires des Conventions de Genève.
Mesdames et Messieurs,
Les conflits armés sont les principaux facteurs de la faim. Ils génèrent ou renforcent directement et indirectement l’insécurité alimentaire à court, moyen et long terme.
Le Secrétaire général l’a détaillé dans son rapport.
De plus en plus de personnes souffrent de la faim aigüe.
Ce chiffre est passé à environ 260 millions de personnes.
Cela correspond à 30 fois la ville de New York. 30 fois!
Plus des deux tiers vivent dans des zones de conflit, par exemple en RDC, au Soudan, ou dans d’autres situations de violence, par exemple Haïti.
Les impacts des conflits armés pour la sécurité alimentaire sont directs
- Des récoltes sont détruites
- des terres devenues stériles ou truffées de débris explosifs
- des dépôts de grains rasés, des marchés fermés.
Mais il y a aussi des impacts indirects.
Bien trop souvent, les conflits s’accompagnent d’attaques contre les biens et services civils. Ces attaques peuvent déstabiliser des systèmes alimentaires entiers.
Par exemple :
- L’approvisionnement en eau est menacé, ce qui pose un défi majeur pour la protection des civils.
- Le manque d’électricité / énergie met en péril des chaînes de refroidissement ainsi que le stockage d’aliments.
- Le déplacement des populations dû aux conflits conduit à l’abandon de la culture des terres.
La pénurie de ressources dans un endroit peut se propager dans toute une région.
Nous sommes actuellement témoins de la manière dont l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine entraîne une hausse massive des prix dans le monde entier.
La Suisse salue l’ensemble des acteurs qui ont permis à l’Initiative de la mer Noire d’être prolongée dernièrement. Elle se félicite des bons offices du Secrétaire général et se tient prête à apporter son soutien, notamment dans son rôle d’État hôte.
Mesdames et Messieurs,
Il y a exactement cinq ans, le Conseil de sécurité a reconnu le lien entre les conflits et l’insécurité alimentaire en adoptant la résolution 2417.
Elle condamne fermement l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, les refus illicites d’accès humanitaire et le fait de priver les civils des biens indispensables à leur survie.
Et en 2021, dans la résolution 2573, il a réitéré sa condamnation des attaques illicites qui privent la population civile des biens indispensables à sa survie.
Ces résolutions, ainsi que les obligations du droit international humanitaire qu’elles réaffirment, offrent des instruments juridiques, politiques et opérationnels solides pour protéger les civils de l’insécurité alimentaire liée aux conflits.
Nous tous devons mieux les mettre en œuvre.
Pour ce faire, je voudrais proposer cinq pistes :
Premièrement, toutes les parties au conflit doivent mettre fin aux attaques illicites et à l’utilisation abusive des biens indispensables à la survie de la population civile, telles que proscrites par le droit international humanitaire.
Une mesure est de réduire ou minimiser les conséquences humanitaires de l’utilisation d’armes explosives dans les zones densément peuplées.
Mon pays a signé la Déclaration de Dublin l’année dernière et j’appelle les autres Etats à en faire de même.
Deuxièmement, il faut redoubler d’efforts pour garantir un accès humanitaire plein, rapide, sûr et sans entrave à toutes les personnes dans le besoin, tel que l’exige le droit international humanitaire.
Je tiens à remercier tous les acteurs humanitaires qui, jour après jour, s'emploient à sauver des vies.
Troisièmement, les parties aux conflits qui utilisent la famine des civils comme méthode de guerre doivent être tenues pour responsables : affamer des civils est un crime de guerre.
Quatrièmement, comme je l’ai souligné lors du débat de ce Conseil en mars dernier sur l’Agenda Femmes, paix et sécurité, les femmes doivent participer de manière pleine, égale, significative et sûre à tous les niveaux de décision et dans tous les processus visant à protéger la population civile.
Cinquièmement, les opérations de paix des Nations-Unies ont un rôle clé dans la protection des civils et il est primordial que nous nous efforçons à maintenir le niveau de protection lorsque ces opérations se trouvent en transition.
Comme souligné par le Secrétaire général, la protection des civils est une question urgente.
Le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme est impératif à cet égard.
Ensemble, nous devons continuer à nous engager pour que la protection des civils soit assurée, non seulement sur papier, mais aussi dans les faits.